Joël Kérouanton
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Fête de la critique # 6 | Petite chronique adolescente

Critique littéraire collaborative du livre Petite chronique adolescente1, fabriquée lors de la Fête de la critique, 6e édition2.

 

 

 

Ils, elles,

 

1

sont arrivées sans voix, juste un sourire (et encore)
sont restés longtemps à s’observer (de loin)

c’est l’été
l’occasion de fêter la critique
au frais d’une tour
face mer

 

2

parfois, se demandent
pourquoi passer quatre jours
à plonger dans les livres
la mer à deux pas
sans plonger une tête

 

3

heureusement ne sont pas restées toujours sous tour
sont vite sortis sous air, au pied d’un arbre

de l’ombre, de l’herbe, un banc et de la palabre
elle est pas belle la vie ?

 

 

 

4

assis dans l’herbe, ont déniché des mots au hasard des livres
des mots sens dessus dessous, qui donnent le tournis
ont pioché « la Zégulon » ou « flingue » ou « éphippigère »

 

5

se sont même nommées ainsi
fallait les voir, avec leur badge « éphippigère »
épinglé sur leur tee-shirt

 

6

ont plongé dans les livres
ont parlé de ces livres
ont voté pour un livre et un seul
Petite chronique adolescente

dix voix pour Petite chronique adolescente
deux voix pour Je suis un génie
(parce qu’il y a le mot « génie »)
deux voix pour Le Livre de l’inutile
(parce qu’il est « inutile »)
zéro voix pour les autres
(parce qu’il y avait ni le mot « adolescent » ni le mot « génie » ni le mot « inutile »)

Petite chronique adolescente est un livre court
ça aide, le court
quand il s’agit de lecteurs adolescents
ça aide, le mot « adolescent »
quand il s’agit de lectrices adolescentes

ni BD
ni roman
ni théâtre
ni récit

7

ont tenté de « pitcher » le livre : l’histoire d’une mère (Valérie) qui raconte la vie de son enfant devenu ado (Marie)

 

8

s’identifient très vite à cette fille, Marie
une métaphore des adolescents à elle seule
une Marie unique et universelle

Valérie raconte Marie qui nous raconte

9

une question, quand même
ont dit les filles

vous, les garçons,
pourriez-vous vous identifier à cette fille
qui « ferme, de temps en temps, la porte de sa chambre »
qui « expérimente les montagnes russes des manèges insensés »

les garçons ont affirmé que oui : toutes les phrases ne sont pas genrées dans le livre

 

10

ont imaginé un extrait du livre mettant en scène un garçon (par exemple le fils de l’autrice), et, après l’avoir écrit, ne savaient plus trop si leur prose était genrée ou pas

a abandonné le mot « copain » au profit de « pote »

refuse catégoriquement d’admettre qu’il vient de pleurer devant Titanic

dit désormais « on ne sait pas qui » au lieu de « on ne sait pas qui c’est »

garde volontairement sa capuche où qu’il soit

rentre, dit bonjour, et s’enferme

 

11

auraient aimé entendre la fille parler davantage dans le texte
rêvent de lire autre chose que la seule et unique tirade « comment peux-tu me dire ça ? » adressée à la mère

c’est la mère qui parle de sa fille
c’est la mère qui parle
c’est un texte-mère

certains entendent la fille
par la voix de sa mère
c’est un texte-ados

certaines entendent la fille et la mère
deux voix
mère-fille
fille-mère
fillemère
mèrefille
fimère
méfie
m

 

12

ont tenté un résumé : un livre qui réunit plusieurs générations

MAIS !
les deux pages finales changent la forme du texte
on quitte la structure numérotée
pour entrer dans la prose poétique

imaginent l’autrice s’ennuyer à toujours écrire en numéroté ; des poèmes distanciés adressés à « elle », sa fille, sont remplacés par une prose chaleureuse et mélancolique, la prose d’une maman attendrie qui voit s’éloigner sa fille à l’âge de l’émancipation, en lycée

sont très perturbés par cette rupture
réécrivent les deux pages finales en structure numérotée (non mais !)
vont beaucoup mieux après cette réécriture

Elle,

apparaissait disparaissait dans la foule
avec son sourire et son chignon un peu défait

était ma fille et un peu une autre jeune fille
entre présence très présente et présence très flottante
peau claire, yeux, cou
gilet de laine simple et déboutonné

ses doigts si fins appuyant sur son crayon
déjà les pages blanches se remplissaient

sa beauté émouvante

discrète et attirante parce que discrète et elle-même

 

 

13

se sont demandés : et au fait, les dessins ? elle est peut-être là, la vraie poésie : dans les dessins

les dessins représentent le texte
les dessins sont le livre

14

ont proposé : et si on faisait une expérience ? une fêtarde de la critique joue une voyante, et déchiffre un dessin de Petite chronique adolescente

il était 17 h 36, un lundi de juillet, au club de Kerlédé-Escalado

ne sourit pas,
fait un peu la tête,
moue boudeuse en mode adolescente
cheveux détachés,
porte un sweat
réfléchit sur elle-même
pas son jour de sociabilité
a des idées noires
sa vie va mal
son théorème de math ?

problème d’algèbre, problème de vie
a une évaluation demain
ne sait pas comment s’y prendre
a déjà eu un 3
sa mère exige un 15
pour aller à Londres
comment faire
sans réviser
(la flemme)

 

15

en voulaient encore plus : et si on jouait une réunion de com’ au sein de la maison d’édition Popentille, pour imaginer-des-actions-et-un-argumentaire-à-destination-des-libraires-pour-que-le-livre-soit-vendu-et-existe-pendant-longtemps ?

 

 

16

ont dit oui, trois fois oui, les yeux fermés (sont un peu dinguos)

 

17

ont interrogé : c’est un jeu de rôle comme le « Loup-Garou » ?

 

18

ont joué, beaucoup joué, et pris des décisions peu raisonnables (c’est un jeu)

  • première action de la maison d’édition Popentille

laisser des fragments du livre dans le paysage

  • deuxième action de la maison d’édition Popentille

mettre sur le site-vitrine de la maison d’édition les poèmes collectés d’adolescents, écrits après la lecture du livre (un premier poème est proposé, pour lancer cette édition complémentaire accessible à toutes et tous)

Dès son jeune âge / elle se pose beaucoup de questions / se maquille les paupières à l’image d’un joli papillon / Elle rêve de prendre sa Valise et de partir à venise / Elle sort et se prend un pare-brise

 

  • troisième action de la maison d’édition Popentille

augmenter l’épaisseur du livre pour toucher les grands lecteurs et lectrices (passer de 45 à 55 pages).

dix fragments sont en cours d’écriture

l’autrice pourra en faire usage si ces propositions lui semblent en cohérence avec son livre

exemple :

adore s’enfoncer dans le canapé pour regarder Friends

crie « merdouille ! » quand laisse tomber sa tasse

essaie de retenir son fou rire en cours de latin

danse seule dans sa chambre, seule

a le vertige

 

  • quatrième action de la maison d’édition Popentille

collecter auprès de la jeunesse des portraits de la jeunesse, puis les diffuser sur le site de la maison d’édition, en complément de la présentation illustrée du livre (« Nous sommes toutes et tous des Marie »)

mener la collecte à Clisson pendant le Hellfest et penser, à l’instar de Valérie la mère de la fille, que la poésie et le rock sont compatibles

créer des dessins à la pelle
chacun devient modèle pour l’autre
prolonger les dessins de Petite chronique adolescente
le livre élu se déploie partout partout partout

  • cinquième action de la maison d’édition Popentille

inonder les radios avec des créations sonores inspirées du livre – exemple :

 

  • sixième action de la maison d’édition Popentille

mettre un extrait dans le bimensuel jeunesse Astrapi, lire un extrait à la radio La Tribu, solliciter des influenceuses pour investir les réseaux sociaux, diffuser le livre dans les grands magasins comme Cultura ou l’espace culturel Leclerc

  • septième et dernière action de la maison d’édition Popentille (car le sept porte chance)

faire un affichage généralisé en gare de l’Est à Paris (d’où part le train hebdomadaire Paris-Venise)
une affiche pour dire ce livre beau, juste, sans âge, percutant (tout simplement)

mettre une phrase du livre en bas de l’affiche
« Tu parlais peu / regard tourné vers la lagune / Venise approchait »

 

19

ont demandé : toutes les filles aimeraient vraiment partir à Venise ?
ont ajouté : toutes les mères veulent-elles que leur fille parte à Venise ?

 

 

20

ont formulé d’une façon simple le pitch de ce livre simple, ça donnerait vraiment quelque chose de simple et qui peut simplement se dire ainsi (de façon simple) : un livre délicat qui parle de l’adolescence

 

Pour La Fête de la critique,
Joël Kérouanton

Un grand merci à tous et toutes les merveilleus·es participant·es de la Fête de la critique pour leur contribution et leurs imaginaires poétiques : Agathe, Aya, Clément, Domitille, Ludivine, Marie-Noëlle, Marius, Norah, Sibylle, Tess, Titouan, Yasmine, Jeanne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ecouter ici l’émission-bilan avec la radio La Tribu

 



 

  1. Valérie Linder, Petite chronique adolescente, Éditions Potentille, Varennes-Vauzelles, 2017.
  2. La Fête de la critique se déroule chaque été, en partenariat avec la librairie indépendante L’Embarcadère et Escalado, une association d’éducation populaire de la jeunesse sur la commune de Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique. Le projet la création d’une communauté interprétative du livre vise à redéployer l’exercice de la critique littéraire auprès de lecteurs et lectrices d’horizons divers. Ce marathon festif d’une semaine impulse des temps de rencontres pour faire entendre les voix de chacun•e et à l’écoute des diversités de lectures. Il aboutit à l’écriture d’un article et devient un lieu d’expérimentation et de recherches sur la réception créative de la littérature aujourd’hui.