Entre ce que l’on pense et ce qui sort de notre bouche, entre ce qui sort de notre bouche et ce qui est entendu, entre ce qui est entendu et ce qui est compris, entre ce qui est compris et ce qui reste.
Les mots sont une suite inlassable de tentatives échouées. On tente de dire, on tente de comprendre. Même dans la même langue, on tente et on échoue.
Comment dire ?
Écrire serait-il la solution ?
Prendre le temps de réfléchir pour dire ce que l’on veut dire et réussir à faire comprendre et à se libérer de cette volonté de dire.
Oui mais la spontanéité est une richesse indéniable dans la communication.
Dire sans réfléchir- du moins sans trop réfléchir. Laisser la place au hasard, à l’imprévu, à la découverte. Se faire confiance et se lancer. Se laisser littéralement tomber. Pas de risque de se faire mal car le risque n’est qu’une peur. Mais la peur paralyse. Elle bloque ce que l’on a au plus profond de nous-même.
Comment dire ?
Et comment comprendre l’Autre ?
Quand on entend un mot, il y a mille façons de le comprendre. Déceler la signification profonde de chaque mot. L’intonation, le visage du locuteur, mon état d’esprit, mon humeur au moment de la comprendre, mon vocabulaire, mes connaissance, mes pensées, mon avis sont autant de paramètres qui viennent perturber la compréhension linéaire d’un mot. Un petit mot. Un tout petit mot.
Comment communiquer alors quand un mot sépare autant deux êtres. Et comment l’humanité peut-elle avancer avec autant d’espace et de disparité entre elle.
Alors disons que cette différence n’est pas un éloignement au sens péjoratif du terme et qu’au contraire cette différence devient richesse, laisse la place aux malentendus et aux quiproquos. Mais les incompréhensions et désaccords sont aussi sources de riches initiatives, Nuit debout en est un exemple.
Et puis, la communication, après tout c’est du désordre.
Un entrelacement de malentendus qui donne lieu à de belles choses: la création.
Pensons à un principe sur lequel un livre non écrit par de vraies personnes présentent à un vrai public ce faux livre et le public questionne les auteurs sur ce faux livre qu’ils n’ont, de toute façon, jamais lu puisqu’il n’a jamais été écrit. L’idée du livre imaginaire.
Ce serait ça, en fait, la communication humaine.
Une suite inlassable d’histoires imaginaires que l’on ferait semblant d’avoir lues ou comprises alors que ces histoires n’ont jamais existé.
Le plus gros mensonge de l’univers.
Et le plus drôle, aussi.
Texte écrit à partir d’une phrase du roman du livre Le maître ignorant, cinq leçon d’émancipation intellectuelle, Jacques Rancière, Fayard, 1988.