Joël Kérouanton
  • Écrivain
  • Atelier Écrire dans la ville

CRITIQUE DU LIVRE « ÇA DÉCHIRE À ROUEN », POEZIBAO | 07 SEPTEMBRE 2012 | PAR FLORIANE GABERT

Joël Kérouanton aime les spectateurs (au point de leur consacrer un dictionnaire – en cours d’élaboration). Non seulement il regarde, de ses propres yeux, mais il se met aussi à la place des autres, ceux qui l’entourent, réels ou fictifs. En 2006, le festival Art et déchirure l’invite pour une résidence d’auteur, et le voilà qui se livre à son activité favorite : « Immergé dans ce festival rouennais, j’ai crayonné à la folie. (…) Je n’ai pas regretté, mais j’ai mis du temps à m’en remettre. », confie-t-il, en quatrième de couverture de son dernier opus : ça déchire à Rouen (Editions Champ social, 2012, 94 pages).

« A la folie » : comment pouvait-il en être autrement puis l’événement présente exclusivement ce que pudiquement on appelle « art brut » (théâtre brut, danse brute, cinéma brut …), quand d’autres lancent (et pensent) « art des fous » ? Justement, en exergue de son livre, Kérouanton place un extrait d’un texte de « Monsieur T. » dont il révèle qu’il est « l’ombre portée de François Tosquelles (1910-1995), psychiatre catalan, militant engagé, initiateur du mouvement désaliéniste » :

« […] La qualité essentielle de l’homme c’est d’être fou.
Et tout le problème c’est de savoir comment il soigne sa folie.
Si vous n’étiez pas fou, comment voulez-vous que quelqu’un soit amoureux de vous, pas même vous.
Et les fous que l’on met dans les asiles psychiatriques, c’est des types qui ratent leur folie. L’essentiel de l’homme c’est de réussir sa folie. »

Dès l’entrée, le ton est donné, tressé tout au long de l’ouvrage, avec la réflexion esthétique  nécessaire face aux propositions présentées dans le cadre du festival :

« Est-ce que c’est beau, est-ce que c’est laid ?
C’est laid.

Est-ce que tu es ému ?
Complètement. »

L’auteur reste sans complaisance, ni pour les spectacles ou installations parcourus, ni pour les spectateurs, dont il s’amuse à dresser un portrait kaléidoscopique. Tour à tour, il dessine « la déchirure de l’organisateur », « la déchirure du spectateur », « la déchirure de la femme », celle du journaliste, du voyageur, de l’hétéro, du nain de jardin (!), du politique, s’appuyant à chaque fois sur des moments artistiques précis qu’il évoque en filigrane.
Cela se lit d’une traite, et peut se relire par petites touches. Le style est léger, avec tout le détachement nécessaire pour ce genre de thème, plombé chez d’autres par le voyeurisme ou l’apitoiement. Ce serait compter sans le regard amusé que Kérouanton porte sur sa galerie de spécimens, et sur sa connaissance fine de l’art de parler d’un spectacle.

Le festival Art et déchirure a lieu, depuis 1988, tous les deux ans à Rouen, au printemps.
Joël Kérouanton mène un travail d’écriture autour de la danse et dans les lieux où l’art ne va pas forcément de soi (établissement psychiatrique, centre social, lycée, foyer de vie).